La twittysterisation du monde
Avec l’affaire Weinstein on a assisté à un déferlement de tweets sur la question du harcèlement sexuel, avec les hashtag #balancetonporc ou encore #metoo, qui sont apparus en tête des « trending topics » sur le réseau social en France et aux États-Unis.
Mon propos ici n’est pas de parler du sujet du harcèlement
mais de l’effet de polarisation, de simplification et in fine d’hystérisation
que provoquent les réseaux sociaux sur de telles questions.
Dans une espèce de ronde infernale un sujet émerge sur un
réseau social – et cela peut être pour de bonnes raisons, le harcèlement est
évidemment un problème très sérieux -, et peut rapidement prendre de l’ampleur. A
partir d’un certain seuil il acquiert une visibilité qui en fait un objet
médiatique en soi qui est repris par les chaînes d’information en continu. Ces
dernières s’alimentent en permanence à la source en diffusant des tweets à
l’antenne, puis en invitant certains des auteurs des tweets, et enfin en
organisant des débats avec leurs inévitables chroniqueurs sur le sujet. Comme les BFM et autres LCI donnent désormais
le tempo de l’information, les chaînes mainstream
ainsi que l’ensemble des médias vont eux-mêmes reprendre le flambeau et
entretenir le processus. L’agenda médiatique est alors saturé par une
thématique donnée pendant quelques jours occultant toutes les autres (on
remarquera par exemple que les incendies de forêt qui ont fait 45
morts dans la péninsule ibérique ont été très peu
couverts au même moment).
A ce stade la machine s’est emballée car le débat se déplace
subrepticement de la question initiale – le harcèlement – pour devenir
« est-ce que c’est bien ou pas d’utiliser twitter pour dénoncer le
harcèlement ? », avec nouveaux tweets, nouveaux hashtags et ainsi de suite,
jusqu’à ce que la machine s’épuise ou qu’une nouvelle actualité émerge.
On pourrait prendre d’autres exemples pour illustrer les
mêmes mécanismes mais il suffit peut être de mentionner l’utilisation habile de Twitter par
Donald Trump pour
se convaincre de l’ampleur prise par le phénomène (peut être que D. Trump
annoncera le lancement d’une bombe nucléaire sur la Croée du Nord dans un
tweet sur le mode « I decided to nuke them «#destroynorthkorea »)
Ce nouveau paradigme informationnel pose plusieurs questions
qui me semblent fondamentales dans des démocraties où les médias doivent jouer
un rôle majeur.
Tout d’abord en court-circuitant tous les intermédiaires –
tout le monde peut s’exprimer – la parole est sans filtre, sans
contextualisation, permettant toutes les outrances ou les dérapages, et aussi
une grande part de subjectivité dans les interprétations. On peut même penser
que certaines personnes se mettent en danger de bonne foi faute d’une
compréhension des enjeux juridiques ou de la soudaine visibilité de leurs
opinions. Ainsi sur le sujet du
harcèlement des « dénonciations » sur Twitter peuvent se retourner
contre les victimes qui seront poursuivies pour diffamation, alors que les
faits dénoncés pourraient être prescrits ou impossibles à établir. On peut et on doit ici aussi évoquer les fake news et les manipulations de certains groupes et/ou états pour influencer les opinions publiques ou les déstabiliser.
Ensuite cette communication ultra-simplifiée (140
signes !) n’appelle le plus souvent qu’à l’émotion. Elle s’apparente à un
cri, mais elle ne peut pas déployer une argumentation, un raisonnement
articulé. Face à cette émotion nous sommes appelés à réagir sur le même
registre, et d’une certaine façon sommés de le faire ainsi. Si nous tentons de
passer sur un autre mode de réaction, qui par définition nécessite plus de
temps, nous sommes quasiment instantanément disqualifiés, ne serait-ce parce
que le flux aura déjà « sauté » d’un tweet à un autre. Entre la
communication ou l’expression brutes et l’information le combat est
déséquilibré.
En outre le tweet, mais d’une certaine façon on pourrait dire la même chose
de la grande majorité des posts sur Facebook et des équivalents sur d’autres
réseaux sociaux, est assertif. Il affirme quelque chose. L’espace des 140
signes ne permet pas l’expression d’un point de vue nuancé, car tout simplement
on manque de place – ce qui paradoxalement ne veut pas dire qu’on sera bien
compris ! Dès lors la réponse, si
elle se déploie dans le même espace de 140 signes, sera elle-même assertive,
soit en venant confirmer le tweet initial, soit en s’y opposant. Le débat ne
peut alors que se polariser, on est pour ou contre, mais il faut choisir ou bien alors accepter de se réfugier dans le silence (une illustration de cette obligation à se positionner est illustrée par la "polémique" sur les propos de Bruno Le Maire). Le monde,
tout complexe qu’il soit, est alors informé par une tentation manichéenne.
Twitter, rejeton des technologies numériques nous oblige à voir le monde en 0
ou en 1, en blanc ou en noir, sur un mode binaire et à sa suite oriente
l’ensemble des contributions et des commentaires. L'espace public du débat a alors de plus en plus de mal à produire du sens.
Tout cela participe d’une information où seules
comptent l’instantanéité, la viralité,
la popularité immédiate, l’exposition maximum. La prise de recul,
l’approfondissement, la lenteur, et l’appréhension de la complexité sont alors
de plus en plus absents, relégués sur des supports de plus en plus
confidentiels ou élitistes.
Or, justement, dans un monde complexe nous avons un besoin vital de comprendre, de ne pas céder à la tentation d’une rapidité facile
et de solutions illusoires. C’est le rôle des médiateurs, qu’ils soient
journalistes, éducateurs, intellectuels, de nous aider à échapper à cette
tentation, à la rapide twittystérisation du monde.
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